Marie Laure Aubignat Psychologue Psychanalyste et Auteure
M : Le but de cet entretien est de vous questionner sur la façon dont vous percevez votre métier. Pouvez vous me décrire votre métier ? Depuis combien de temps êtes vous psychologue?
M-L : Douze ans environ.
M : En quoi le métier de psychologue consiste ?
M-L : Le métier de psychologue a comme but d’ essayer de répondre à une demande qui vous est formulée, demande, la plupart du temps, étant basée sur une souffrance : une personne vient vous demander de l'aide. C'est un échange que l'on essaie de rendre fructueux, une demande parfois basée sur un conflit, une souffrance souvent très ancienne que le patient devra mettre en mots, afin d’en prendre conscience avant tout, dans le but de la dépasser progressivement, s'en extraire.
M : Donc là, on retrouve vraiment votre approche de Psychanalyste. Comment vous avez fait votre choix, entre la Psychanalyse et la Psychologie clinique ?
M-L : C’est très ancien, je connaissais de longue date la psychanalyse pour en avoir beaucoup entendu parler, très jeune et pour l'avoir pratiquée moi-même, avant mes études. Pratiquée en tant que patiente.
M : Est-ce que c'est la seule profession que vous avez exercée, jusqu'à maintenant ?
M-L : Il y a toujours eu, au départ, une volonté de ma part de devenir Psychanalyste. Ça a donc été une formation longue, entrecoupée de missions de travail variées.
M : Comment en êtes-vous venue à entreprendre des études de psychologie et à devenir analyste ?
M -L : Ca été un long parcours, un lent processus : à l'âge de vingt ans, j'ai moi-même entamé une psychanalyse. Puis, par la suite, j'ai toujours eu la volonté de reprendre des études. Au tout début, j' avais étudié Lettres Modernes à Lyon II, puis, j’ai essayé un an de Droit afin de savoir ce qui me convenait au plus juste. J’ai rencontré à Lyon II des professeurs passionnants qui m’ont guidée vers mes choix futurs, notamment celui d’écrire aussi. Je cherchais, mon langage, c'est-à-dire celui qui me conviendrait par le biais de mes études universitaires, chaque branche ayant chacune son langage. La fac de psycho à Paris V m’a semblée l’évidence dans mes choix et je n’ai plus quitté le cursus universitaire qui me convenait : la psychologie clinique.
M : Sur votre carte de visite, j'ai vu que vous étiez Psychologue clinicienne mais aussi Psychanalyste, c'est dû à la Psychanalyse que vous avez faite ?
M-L : Alors, qu'est-ce que ça veut dire Psychologue clinicienne ? "clinicienne » signifie que l’on a validé par des Masters 2, un parcours universitaire, ce qui nous a donné le titre de "psychologue clinicienne" à savoir, concrètement, bac +5. J'ai un bac +6, ayant fait en plus un DEA de recherche. Ayant eu la grande chance d’effectuer des stages excellents, d’être formée par des grandes figures de la psychiatrie parisienne à l’hôpital Ste-Anne, en psychiatrie Adultes, puis à la maison de Solenn à Cochin, en psychiatrie adolescents.
Avec des psychiatres Lacaniens, j'ai appris énormément de choses. C’est ce qui m'a valu le titre de psychologue clinicienne : en effectuant des études universitaires en parallèle à des stages d’ écoute clinique en milieu hospitalier. « Clinique » je me souviens signifie "écoute au chevet du patient".
Parallèlement, j'ai fait une longue formation individuelle de Psychanalyse, qu'on ne finit jamais d'ailleurs. Je suis membre, aujourd’hui, de différentes associations parisiennes, donc toujours en contact avec de nombreux Psychanalystes.
C’est ce parcours à la fois individuel et universitaire qui m'a valu le titre de Psychanalyste. C'est une longue formation que j'ai faite : je suis encore aujourd'hui à l'ALI (Association Lacanienne Internationale) dirigée par Charles Melman, un psychanalyste lacanien, et j'ai fait mon analyse. Par ailleurs, je continue de me former à l'écoute de la souffrance psychique, avec ce que notre métier appelle "le contrôle", car parfois on se réfère à l’avis de nos confrères mais aussi par le biais de mon réseau, de différents colloques.
Les enseignants clinique que je vous ai cités : Charles Melman, il y a eu aussi François Eldin de Pécoulas, j'étais stagiaire chez le Docteur Françoise Gorog, Chef de service à Ste- Anne où je suis restée trois ans, et là, j'ai été extrêmement bien formée. Durant ce stage, j’étais à l’université René Descartes ou Paris V.
Par la suite, j'ai été à la maison de Solenn, reliée a l'hôpital Cochin, étant Alors à à l’université Paris 13 où j'ai été formée ces années là, à la psychologie interculturelle avec le professeur Marie-Rose Moro qui m'a fait connaître la psychiatrie adolescente et interculturelle, mais aussi par Yoram Mouchenik, un anthropologue et psychologue de Ste-Anne et enseignant aujourd’hui à l’université : il encadrait mes mémoires : C'était l’année de la validation de mes diplômes universitaires.
M : Ces stages vous les avez effectués pendant votre cursus ?
M-L : Pendant mes années universitaires, oui, il nous est demandé d’effectuer des stages pendant nos années de Master 1 et 2.
M : Avez-vous eu d'autres activités professionnelles que celles-ci ?
M-L : Oui, bien entendu, par ailleurs, j’ai occupé différentes fonctions, notamment des stages plus courts (stage en gériatrie, avec des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, mais aussi un stage en hôpital de jour,à l'hôpital Paul Guiraud, auprès de patients psychotiques adultes. Puis enfin des prise en charge d’enfants psychotiques).
M : Vous avez écrit un livre ?
M-L : Plus exactement un "recueil de témoignages". Ce livre est, en fait, l'aboutissement de mes études, oui vraiment, c'est l'aboutissement de ma licence, de mon master 1, de mon master 2 professionnel et master 2 recherche : j'ai toujours écrit, à l’université, autour de ce thème du traumatisme des enfants des survivants de la Shoah. En fin d’études, je me suis dit : "Ce serait dommage de ne pas rassembler tous ces mémoires en un livre".
J’ai eu, d’autre part, le précieux soutien de Boris Cyrulnik, au moment de mon premier mémoire universitaire, que j'ai eu beaucoup de chances d’avoir pu rencontrer. J'appréciais énormément son œuvre littéraire, en complément de l'enseignement universitaire que j'avais à ce moment-là, sa connaissance du thème des traumatismes les plus lourds, ceux de la seconde guerre mondiale, et son apport personnel sur le sujet, notamment avec le concept de résilience.
M : Vous travaillez en libéral, pourquoi ce choix ? Si c'est un choix.
M-L : Je souhaitais avant tout être Psychanalyste en libéral. Psychologue à l'hôpital c'est autre chose. Après avoir travaillé beaucoup en milieu hospitalier, si effectivement certains patients gravement perturbés ont besoin de passer par un séjour en institution, je crois que rien ne vaut une thérapie individuelle quand on est en souffrance. je sais bien qu'il y a des cas où ce n'est pas possible, c'est trop compliqué, et c'est un investissement d'entamer un travail sur soi chez un psychologue. Mais je préfère le travail en cabinet privé, pour ce qui me concerne.
M-L : Quels sont les côtés positifs de votre profession ?
M-L : Les points positifs sont ceux de constater l'évolution parfois rapide des patients, c'est une satisfaction de voir assez rapidement le mieux-être des patients qui se transforment en ce qu'ils veulent devenir vraiment, en leur désir. Ils arrivent lentement à lâcher et se dégager de leur conflit qui les envahissait et duquel ils ne trouvaient pas d’issue seuls : (une mère envahissante, un père autoritaire, un traumatisme passé...) tout cas de figure. Percevoir cette évolution est intéressant. Voire les patients qui vous remercient du travail qu'on a pu faire ensemble. Les points positifs sont ces rencontres intéressantes et progressives qu'on arrive à mener.
M : Et les points négatifs ?
M-L : Et les points négatifs... Ce n’est pas facile, parfois : les patients qui ont un énorme conflit, des choses extrêmement pesantes, il faut être bien armé, bien soutenu parfois, par nos connaissances que l'on a pu acquérir d'une part, notre bagage intellectuel, mais aussi par un cadre aussi extérieur, le rôle du Psychanalyste-contrôle.
M : Qu'est-ce qui est selon vous, indispensable pour réussir dans ce métier ?
M-L : Le désir d'aider autrui bien sûr, l'empathie, la finesse de l'écoute, enfin, il n'y pas de secret, il faut quand même avoir fait un important travail sur soi sinon, on ne peut pas. Il est nécessaire d’être très au clair avec son propre désir de devenir analyste !
M : Si vous aviez un conseil à donner aux étudiants de deuxième année, que serait-il ?
M-L : A des étudiants de deuxième année, oui, je dirais que c'est un métier formidable mais être formé, à la base, au-delà de l'université est une question indispensable. A l'université, on apprend des concepts fondamentaux, on apprend des théories, des auteurs. On acquiert à l'université une vaste culture générale et les travaux de nos prédécesseurs certes indispensables.
Pourtant, il est fondamental d’ être formé parallèlement à l'extérieur soi-même par une thérapie individuelle, l’écoute et la connaissance de son propre psychisme, avoir une bonne connaissance de soi et de son propre fonctionnement afin de mieux appréhender autrui et sa souffrance. S'installer individuellement demande une grande maturité. Commencer en institution avec d'autres, avec une équipe qui encadre et forme semble souhaitable.
M : Pouvez-vous me décrire une journée type ?
M-L : Oui, une journée type, d'une psychologue en libéral comme moi ? On est dans un état d’esprit où l'on se prépare à recevoir la souffrance du patient, on lui fait une place, dans notre psychisme individuel. Mes patients arrivent non pas les uns après les autres : je laisse un espace entre chaque patient, donc il n'y pas de salle d'attente chez moi. Leur apportant un cadre, je les écoute et participe pendant une demi-heure parfois à trois quart d'heure. En général, ils viennent une fois par semaine, certains tous les quinze jours, d'autres deux fois par semaine.
Je n'ai pas que des psychanalyses, j'ai aussi des thérapies de soutien plus courtes.
M : Là c'est vrai que j'ai du mal à visualiser.
M-L : Certains patients viennent en état de souffrance. Ce n'est pas une analyse très profonde qu'ils demandent, c'est un soutien temporaire parce qu'ils vivent un conflit passager ; leur demande, à la base est une prise en charge psychique seulement ponctuelle, ils souhaitent être accompagnés le temps de traverser une période un peu compliquée ou simplement avoir votre point de vue sur une situation.
D'autres patients viennent et me demandent un travail plus soutenu, plus profond, une véritable connaissance d'eux-mêmes, dans le but de se libérer de leur conflit interne, et souvent plus ancien.
La psychanalyse peut être décrite comme étant un travail d’ écoute beaucoup plus approfondi de la part du thérapeute, un investissement plus intense, plus long aussi.
M : Et les thérapies de couples ?
M-L : Les couples viennent parfois à deux et cherchent soit à résoudre un conflit, une mésentente, soit à parler seul d’abord. Une thérapie de couple peut être très constructive avec la présence soutenante et neutre de la personne du psychologue qui peut conduire à des résolutions de conflit ou des changements d'organisation de vie très bénéfiques, un nouveau départ dans un climat plus serein si les deux partenaires sont motivés.